Qu’ont à se dire l’économie du travail et les relations industrielles?
Morley Gunderson
Volume : 78-4 (2023)
Résumé
Les disciplines de l'économie du travail et des relations industrielles, longtemps séparées, pourraient grandement bénéficier d'une collaboration plus étroite. C'est ce que propose Morley Gunderson, professeur au Centre des relations industrielles et des ressources humaines de l'Université de Toronto, dans un article qui se penche sur les critiques courantes de l'économie du travail en utilisant des exemples tirés des relations industrielles pour démontrer comment ces deux domaines peuvent s'enrichir mutuellement.
Une séparation historique
Jusqu'aux années 1960, l'économie du travail et les relations industrielles étaient intimement liées, toutes deux axées sur les institutions et l'analyse descriptive. Cependant, avec l'ascendance de la perspective néoclassique, l'économie du travail a progressivement adopté des méthodes plus théoriques et quantitatives, s'éloignant ainsi de son ancienne compagne disciplinaire.
"Historiquement, ces deux disciplines étaient étroitement connectées", explique Gunderson. "Mais l'évolution vers des méthodes plus théoriques a creusé un fossé entre elles."
Des hypothèses irréalistes
L'une des critiques majeures de l'économie du travail concerne son utilisation d'hypothèses simplificatrices et souvent irréalistes, telles que la concurrence parfaite et l'information complète. Gunderson cite l'économiste Bruce Kaufman, qui décrit ces hypothèses comme une "rêverie romantique" et une "charmante fantaisie".
"Bien que ces hypothèses servent de point de départ utile, elles doivent être ajustées pour refléter la réalité", souligne Gunderson. En intégrant des éléments plus réalistes comme l'incertitude et l'asymétrie de l'information, les économistes peuvent mieux comprendre des phénomènes observés en relations industrielles, comme les coûts de transaction et leur impact sur les décisions de travail et d'embauche.
Rationalité et comportement
Un autre point de critique est l'hypothèse selon laquelle les individus agissent toujours de manière rationnelle et égoïste. "La notion de rationalité en économie signifie simplement que les agents agissent de manière cohérente pour atteindre leurs objectifs", précise Gunderson. "Ces objectifs peuvent inclure des motivations altruistes ou des préoccupations éthiques, comme les changements climatiques."
Défection, prise de parole et loyauté
L'économie du travail est souvent accusée de se concentrer sur la "défection" (exit) comme moyen principal de discipliner le marché, négligeant ainsi l'importance de la "prise de parole" (voice) et de la loyauté (loyalty). Selon Gunderson, les relations industrielles mettent en lumière le fait que les employés utilisent souvent la prise de parole pour résoudre les problèmes plutôt que de quitter leur emploi.
"Intégrer cette perspective pourrait enrichir l'analyse économique en tenant compte des dynamiques de pouvoir et des mécanismes de négociation internes aux entreprises", affirme Gunderson.
Vers une approche intégrée
Gunderson soutient que l'économie du travail pourrait tirer parti des principes des relations industrielles, tels que l'inégalité du pouvoir de négociation, l'importance de la prise de parole et de la loyauté, ainsi que l'utilisation de méthodes mixtes quantitatives et qualitatives. De leur côté, les relations industrielles bénéficieraient de l'intégration des techniques empiriques rigoureuses de l'économie du travail pour tester et faire progresser leurs théories.
"Une meilleure pollinisation croisée entre l'économie du travail et les relations industrielles pourrait conduire à des avancées significatives pour les deux disciplines", conclut Gunderson. "En intégrant les critiques et les perspectives des relations industrielles, l'économie du travail pourrait devenir plus réaliste et applicable aux situations du monde réel. Et en adoptant des méthodes empiriques rigoureuses, les relations industrielles pourraient solidifier leurs fondations théoriques et pratiques."
En somme, une alliance entre ces deux disciplines pourrait offrir des analyses plus complètes et pertinentes des dynamiques du travail et de l'emploi, ouvrant la voie à de nouvelles perspectives pour le futur.