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Industrial Democracy

Industrial Democracy

Gordon McCaffrey

Volume : 27-3 (1972)

Résumé

La démocratie industrielle

On a accordé beaucoup d'intérêt à la notion de démocratie industrielle d'un côté comme de l'autre du Rideau de fer. L'idée en soi n'est pas nouvelle. Dès les premiers temps de la révolution industrielle, les travailleurs et les mouvements syndicaux ont réclamé la participation aux décisions de l'entreprise.

Une des difficultés majeures concernant la démocratie industrielle, ou la participation des travailleurs à la gestion, c'est que le sens qu'on lui donne peut varier du tout au tout d'une personne à l'autre. On peut se vanter qu'une action est une forme de participation à la gestion alors que, en réalité, il ne s'agit que d'une obéissance servile à l'autorité. Johannes Schregle, chef de la section du droit du travail et des relations professionnelles au service du développement des institutions sociales de l'OIT a fait remarquer que l'expression participation des travailleurs à la gestion«  est liée à des concepts de démocratie, de droits de la direction, d'efficience, de besoins humains et de droits moraux si chargés d'émotivité et d'idéologie qu'une discussion impartiale, libre d'opinions et d'attitudes préconçues, en est extrêmement difficile ». Le présent article a pour objet de considérer le rôle de la démocratie industrielle dans le contexte canadien des relations du travail et d'analyser les expériences tentées en d'autres pays, face à la revendication de diverses formes de participation à la gestion, en se demandant si les ententes particulières s'y rapportant, accordent un véritable pouvoir de décision et si les travailleurs du rang sont intégrés au processus selon une formule véritablement démocratique.

On peut mettre à exécution un système de participation à la gestion de bien des manières. Premièrement, une personne ou quelques personnes, agissant d'autorité, élaborent des règlements auxquels les travailleurs doivent obéir. Deuxièmement, on trouve le paternalisme, forme d'autoritarisme fondé sur la notion de famille étendue en vertu de laquelle « le père a toujours raison ». Troisièmement, il y a le processus bureaucratique où le pouvoir décisoire est diffus à travers divers échelons d'autorité et d'un ensemble complexe de règlements. Quatrièmement, on rencontre le système de la « gestion scientifique » où des spécialistes imposent « la meilleure manière de faire les choses ». Enfin, les décisions peuvent découler d'une participation fondée sur divers degrés d'engagement des travailleurs. Dans la plupart des sociétés canadiennes, tout comme dans la plus grande partie du secteur public, l'autorité dans l'entreprise s'exerce selon les quatre premières formules. Ce n'est que là où les syndicats sont pleinement reconnus par la direction et où celle-ci s'efforce d'en empêcher l'implantation que la participation à la gestion revêt une signification spéciale.

Les travailleurs peuvent participer au pouvoir décisoire de bien des manières. On peut démocratiser la propriété et le contrôle des moyens de production. Dans ce cas, à l'extrême, les travailleurs s'emparent des moyens de production qu'ils gèrent au nom de la collectivité. D'autre part, les travailleurs et la direction peuvent s'entendre sur une forme quelconque d'association qui peut inclure la participation aux bénéfices et l'achat d'actions de l'entreprise. On peut aussi démocratiser la direction en ce sens que l'entreprise s'efforce de placer « le bon homme à la bonne place » ou de prendre les décisions après consultation d'un conseil ouvrier qui représente toutes les catégories de travailleurs et de cadres. On peut enfin démocratiser le pouvoir décisoire par le régime de la négociation collective.

Les conseils ouvriers établis par le gouvernement yougoslave après la deuxième guerre mondiale fournissent un modèle moderne de démocratie industrielle par la propriété et le contrôle des moyens de production par les travailleurs. Ces conseils sont la principale unité de direction au niveau de l'entreprise. Les travailleurs de l'usine élisent directement les membres du conseil. C'est le conseil, en collaboration avec le comité des citoyens qui représente l'autorité politique nationale, qui désigne l'administrateur. Le directeur et son conseil d'administration, qui compte de trois à onze membres, gère la firme au jour le jour sous la direction du conseil qui se réunit mensuellement. C'est le conseil qui décide en matière d'embauchages, de promotions, de licenciements, de fixation des taux de salaires, de partage des bénéfices et qui approuve les programmes de production et de mise en marché.

Les observateurs bien informés du système yougoslave font remarquer que, si l'autorité politique considère qu'un conseil prend des décisions qui ne sont pas sages, elle n'hésitera pas à intervenir et à procéder à ses propres ajustements en matière de salaires et de prix. Les profits qui restent après déduction des impôts sont alloués aux salaires, aux investissements et aux logements ouvriers. Cependant, si une société fonctionne à perte, il se peut que les taux de salaires soient abaissés. On a tendance à choisir les membres du conseil parmi les techniciens et les spécialistes plutôt que parmi les travailleurs du rang. Les représentants ouvriers au sein des conseils s'intéressent moins aux questions de production et de financement, de vente et d'investissement qu'à la paie et aux conditions de travail.

Les conseils ouvriers dont la formation a été préconisée par les employeurs et les syndicats suédois dès le début de la décennie 1920 se sont vu déléguer ou ont assumé un pouvoir décisoire plus limité. En 1946, la SAF (Confédération des employeurs suédois) et la LO (Confédération générale du Travail) ont conclu sur les conseils ouvriers un accord qui prévoyait l'établissement de conseils dans les usines comptant un minimum de vingt-cinq travailleurs (en 1958, ce minimum fut porté à cinquante travailleurs) à la seule fin de discuter ensemble les questions relatives à la productivité et d'échanger des informations. On n'a pas étendu aux conseils ouvriers le pouvoir de négociation non plus que celui de prendre des décisions.

En Suède, syndicats et employeurs ont critiqué les réalisations de ces conseils. Les syndicats se sont plaints que les conseils avaient failli à l'obligation qui leur était faite de tenir les quatre réunions annuelles prévues à l'accord et que l'information donnée par les employeurs aux travailleurs était à la fois maigre et emberlificotée. De leur côté, les employeurs ont reproché à certains représentantsouvriers de négliger de transmettre l'information à tous les employés. La plupart des conseils ont confiné leur activité à l'exercice d'un rôle de consultation. La plupart des pays d'Occident qui ont tenté l'expérience de la participation à la gestion se sont inspirés du modèle suédois.

Un troisième modèle, qui tient le milieu entre les systèmes yougoslave et suédois, c'est la cogestion établie par voie législative en Allemagne de l'Ouest après la deuxième guerre mondiale. Les travailleurs participent aux prises de décision à l'intérieur de commissions de surveillance et de conseils du travail. Les représentants ouvriers ont un droit de vote égal à celui des représentants de la direction pour la désignation du directeur du travail au conseil d'administration, C'est principalement dans les industries du charbon et de l'acier que la participation à la gestion a pris le plus d'ampleur en Allemagne de l'Ouest. Dans les industries du charbon et de l'acier, la commission de surveillance est formée de cinq représentants des employés, de cinq représentants des employeurs et d'un président neutre choisi à l'extérieur de la société. Dans quelques firmes, la commission de surveillance peut compter de quinze à vingt-et-un membres. La commission de surveillance ne se substitue pas à l'autorité des actionnaires. Sa fonction consiste à passer en revue toutes les activités commerciales et à surveiller les décisions du conseil d'administration.

Dans les industries du charbon et de l'acier, le directeur ouvrier est élu aux conseils d'administration par le vote majoritaire des travailleurs et des représentants de la direction aux commissions de surveillance. On choisit généralement un ancien chef syndical, mais il doit nécessairement être acceptable aux deux parties. Les conseils d'administration comprennent aussi les directeurs technique et commercial, et quelques autres directeurs, tous désignés par les actionnaires.

Les conseils du travail sont formés de représentants de toutes les catégories de travailleurs, qu'ils soient ou non membres d'un syndicat. Le conseil exerce pour partie une fonction de consultation, mais il s'occupe aussi de beaucoup des questions qui, ici au Canada, sont propres à l'activité syndicale, telles que les taux de salaires aux pièces et les primes, les heures de travail, les pauses ainsi que de l'hygiène professionnelle et de la sécurité. Sa fonction principale est de conseiller l'administration sur la façon d'établir la collaboration entre le personnel et la direction et d'assurer la discipline.

Tout jugement sur la cogestion doit tenir compte du contexte européen, Même s'il est puissant au niveau national, le mouvement syndical en Allemagne de l'Ouest est relativement faible au plan local. Il est trop tôt pour juger dans quelle mesure les syndicats et les conseils du travail peuvent coexister harmonieusement. Les travailleurs du rang considèrent principalement les conseils du travail et les commissions de surveillance comme des mécanismes utiles pour rehausser le statut et favoriser l'avancement des quelques travailleurs qui y sont élus ou nommés. Quant aux employeurs, ils ont reproché aux conseils de ne pas contribuer suffisamment à l'accroissement de l'efficacité de leurs entreprises.

La participation des travailleurs aux décisions par l'entremise du système de négociation collective est le constat de la revendication historique des travailleurs dans leur volonté d'obtenir une autorité égale à celle des employeurs dans la détermination des salaires et des conditions de travail. Elle confirme aussi la mutualitédes intérêts entre travailleurs et employeurs. Mais à rencontre de l'approche scientifique de la « pseudo harmonie industrielle », elle met en relief l'état de conflit entre les travailleurs et les propriétaires concernant le partage des richesses produites grâce à leur effort commun. Contrairement à l'approche marxiste, la négociation collective ne cherche pas à remplacer la direction par des conseils ouvriers. Elle reconnaît à la direction une fonction spécialisée. L'harmonie industrielle est toujours quelque chose de contingent. Même si une espèce de guérilla et certains conflits armés prédominent quelquefois, les rapports collectifs du travail se déroulent en grande partie au jour le jour et d'année en année d'une façon ordonnée et pacifique.

Le dynamisme de la négociation collective réside dans le conflit résultant de deux catégories de besoins, d'aspirations et d'insatisfactions qui s'opposent : ceux des travailleurs et ceux des employeurs. La négociation collective procure aux travailleurs l'occasion de participer à l'évolution sociale. Toute convention collective nouvelle, qui représente un accommodement entre ce que veulent les employeurs et ce que souhaitent les travailleurs, établit un ordre neuf et un ensemble de règles destinées à régir la façon de se comporter à l'usine .

On n'y trouve nulle volonté bien enracinée d'exiger la participation aux conseils d'administration. L'idée en est préconisée par ceux qui substituent des formules toutes faites genre « tout le pouvoir au peuple » à l'examen systématique des méthodes capables de permettre aux travailleurs d'apporter des améliorations à leur milieu de travail, par ceux qui s'accrochent à un concept vaguement exprimé de « démocratie industrielle » en tant qu'un des instruments valables pour établir un nouvel ordre économique et social et, enfin, par ceux qui cherchent délibérément un système chimérique de représentation dans le but d'enfoncer un coin entre les travailleurs et les syndicats.

De toutes les options possibles, la négociation collective offre aux ouvriers canadiens les meilleures occasions d'accroître le degré de leur participation à la direction. Les travailleurs canadiens rejettent la révolution comme moyen d'accroître le contrôle ouvrier. La cogestion est une idée emballante, mais elle reste un concept qui offre peu, si encore elle offre quelque chose, comme formule de participation des travailleurs à la direction. Les comités consultatifs patronaux-ouvriers traitent de questions sans véritable importance. Quant à la participation à la direction par le moyen de la démocratisation de l'industrie, elle a surtout consisté dans une tentative des employeurs en vue d'éviter la syndicalisation et elle n'a engagé les travailleurs qu'à un niveau purement consultatif.

L'engagement des travailleurs dans la participation à la direction par le truchement de la convention collective présuppose que les travailleurs continuent d'étendre le champ de la négociation à l'ensemble des sujets qui touchent aux gains, aux conditions de travail et à la sécurité de l'emploi. En même temps, le mouvement syndical devra accentuer ses efforts pour rejoindre les non-syndiqués et faire pression dans le sens d'une transformation économique et sociale portant sur un front plus vaste pour le bien de la collectivité dans son ensemble.