La régulation du travail des plateformes est au cœur de nombreux débats contemporains, avec des implications majeures pour les relations industrielles et les politiques publiques. Dans une revue critique de la littérature, Angel Martin-Caballero de l'Alliance Manchester Business School explore comment les institutions, les réseaux et les cadres cognitifs influencent la régulation du travail des plateformes. Son étude, fondée sur le cadre théorique de Beckert (2010), offre un éclairage nouveau sur les dynamiques complexes qui sous-tendent les conflits réglementaires dans ce domaine en pleine expansion.

Un contexte de transformation

Le travail des plateformes, caractérisé par des emplois médiatisés par des applications comme Uber ou Deliveroo, a rapidement évolué au cours de la dernière décennie. Bien que représentant encore une petite fraction du marché du travail, ce modèle économique a relancé les débats sur la libéralisation des relations de travail, la re-commodification du travail, et l'émergence de nouveaux contrôles algorithmiques. En effet, ces formes de travail sont souvent perçues comme érodant la relation d'emploi standard et étant fortement non protégées​.

​Institutions : Le cadre réglementaire

Les institutions jouent un rôle crucial dans la régulation du travail des plateformes, limitant les conflits centraux autour de la reconnaissance et de l'accès aux droits du travail. Cependant, la littérature critique souligne que le pouvoir des entreprises numériques a souvent contourné ces régulations, soit en exploitant les vides juridiques, soit en influençant les politiques par le biais du lobbying​.

​Par exemple, en Californie, le statut AB5 de 2019 a étendu les avantages de la classification des employés à la plupart des travailleurs salariés, bien que la proposition 22 ait ensuite exempté les entreprises de livraison et de transport de cette loi.

Réseaux : Pouvoirs de marché et acteurs non étatiques

Les réseaux, qu'ils soient de marché ou sociaux, ont une influence grandissante sur la régulation. Les plateformes créent des effets de réseau qui renforcent leur dominance sur le marché. Cette situation entraîne souvent des marchés à "winner-takes-all", où les grandes entreprises écrasent la concurrence​.

Parallèlement, les travailleurs des plateformes développent des réseaux informels de confiance pour pallier les faibles niveaux de confiance inhérents aux relations de travail non proches. Ces réseaux jouent un rôle clé dans la résistance et l'autorégulation parmi les travailleurs​.

​

Cadres cognitifs : Narrations et conflits réglementaires

Les cadres cognitifs, ou la manière dont les significations et les normes sociales sont organisées, sont essentiels pour comprendre les conflits réglementaires. Les entreprises de plateformes réussissent souvent à se lier à des narrations puissantes qui légitiment leur croissance perturbatrice en défiant la réglementation existante. Par exemple, face aux demandes de conformité aux lois du travail et des transports, des entreprises comme Uber montent des campagnes médiatiques accusant les gouvernements de protéger l'industrie du taxi, détournant ainsi le débat sur la légitimité de la régulation elle-même​.

​Implications théoriques et pratiques

Pour les étudiants et les jeunes professionnels, comprendre les dynamiques de la régulation du travail des plateformes est crucial. Ces régulations sont façonnées par des processus sociaux et politiques complexes, impliquant une interaction continue entre institutions, réseaux et cadres cognitifs. La revue de Martin-Caballero montre qu'une approche intégrée de ces trois dimensions peut offrir une meilleure compréhension des défis réglementaires actuels et futurs. Ainsi, « les réponses réglementaires diffèrent significativement entre les cas locaux et nationaux, soulignant l'importance d'examiner toutes les structures pour comprendre comment les conflits de régulation sont façonnés et cadrés dans chaque contexte ».

​Cette perspective intégrée est essentielle pour aborder les défis du travail moderne et garantir des conditions de travail plus équitables et justes.